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Catégorie :
Blog Tourisme et Voyages
Date de création :
07.11.2008
Dernière mise à jour :
07.11.2008

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Amatus Lusitanus

Amatus Lusitanus

Publié le 07/11/2008 à 12:00 par lacroatiediverse
En raison de sa situation très favorable par rapport à d'autres centres moyenâgeux de la science médicale (tels que Salerne, Bologne ou Padoue), Dubrovnik avait très tôt développé un service médical efficace tout en se distinguant par de remarquables institutions sanitaires et hygiéniques. Il en allait de même avec ses réglementations très strictes sur la propreté. On aurait difficilement pu en dire autant à propos d'autres villes portuaires dans l'Adriatique (en particulier celles administrées par la République de Venise). Cela explique que pendant des siècles la médecine dubrovnikoise a bénéficié d'une bonne réputation en Europe. Evliya Kelebi en témoigne, lui, qui avait séjourné à Dubrovnik en mai et juin 1664. Il a écrit qu'on y trouvait beaucoup de médecins qui étaient parfaitement instruits en matière d'astronomie, de chirurgie et d'histoire. D'autres sources confirment que les médecins de Dubrovnik étaient des individus dotés d'un savoir universel - des humanistes qui n'avaient de cesse d'enrichir leur domaine médical par de nouvelles connaissances scientifiques. Ce faisant, ils montraient la même persévérance à étendre leur culture générale de manière à ce que le bénéfice qu'ils en retirent rejaillisse sur le peuple parmi lequel ils exerçaient. Dans la liste des nombreux médecins de Dubrovnik, il faut réserver une place de choix à Amatus Lusitanus qui était venu se réfugier dans la ville.

Amatus Lusitanus fut connu à Dubrovnik sous le nom d'Amato Lusitano. Il était né en 1511 dans la localité portugaise de Castelo Branco, non loin de la frontière espagnole. Ses parents étaient des marranes, c'est à dire des Juifs qui avaient été baptisés par la force (sans doute en 1497, après que D. Manuel eut décidé d'expulser ou de faire baptiser les Juifs portugais). Son véritable nom était João Roderiguez (Rodrigues). D'ordinaire, il lui ajoutait comme syntagme toponymique "de Castelo Branco". Toutefois, dans les documents, son véritable nom portugais a bien souvent été latinisé en Ioannes Rodericus. C'est à l'université de Salamanca qu'il a étudié la médecine auprès du célèbre médecin Aldareto. Dès l'âge de 18 ans il se révéla être un excellent chirurgien et à 19 ans il obtint le grade de médecin (1530). Deux ans plus tard, il regagna le Portugail où il pratiqua dans quelques villes (Santarém, Lisbonne, etc.) A cause de "la guerre psychologique" permanente qui était menée contre les marranes, et qui menaçait de déboucher sur de nouvelles persécutions sanglantes, Amatus opta pour fuir à l'étranger en espérant pouvoir y confesser librement la foi hébraïque mais tout en continuant d'exercer la médecine. Il quitta le Portugal après y être resté un an et passa d'abord en France. De là, dans un deuxième temps, il gagna les Pays-Bas. Bien que Charlequint par une décision du 31 mai 1526 eût interdit aux marranes de rester aux Pays-Bas pendant plus d'un mois, ce pays n'en avait cure et cela explique que les marranes et les Juifs y étaient volontiers accueillis. C'est ainsi qu'il existait des colonies juives dans toutes les grandes villes de ce pays à l'époque où Amatus y séjourna. Lui-même s'était joint à celle d'Anvers et c'est dans cette ville qu'il passa sept années pour y exercer la profession de médecin. Il acquit une telle réputation en la matière que ses collègues des autres villes l'invitaient souvent pour qu'il effectue des consultations sur leurs terres.

Sa première oeuvre scientifique a beaucoup fait pour une telle popularité. Elle avait été publiée à Anvers en 1563 sous le titre Egxemata in duos priores Dioscoridis de arte medica libros et elle était consacrée à la botanique. Selon Tadic, c'est à Anvers qu'il avait probablement entendu parler pour la première fois de Dubrovnik par des Juifs de Salonique qui à l'époque de la première Sainte Ligue contre les Turcs avaient quitté la Turquie pour l'Europe en traversant justement le territoire neutre de Dubrovnik. Il faut pourtant dire qu'Amatus ne se sentait pas non plus entièrement en sécurité à Anvers. C'est la raison pour laquelle il accepta bien volontiers l'offre du duc de Ferrare, Ercole II d'Este, qui lui avait proposé d'assumer la charge de professeur de chirurgie à l'université de Ferrare. On y fait état de sa présence en 1540. Son ami Didak Pir avait également fait le voyage avec lui. L'un comme l'autre gagnèrent rapidement la réputation d'être des sommités dans le domaine de la médecine et de la poésie. En outre, dans leur sphère de compétence, chacun noua de nombreuses amitiés à Ferrare. S'agissant d'Amatus, on peut citer les noms d'Antonius Musa Brassavola, de Giambattista Canano, de Joannes Falconeti et d'autres. De tels contacts sont surtout à mettre au crédit de ses recherches scientifiques en anatomie et en botanique. Elles avaient eu pour mérite de le rendre fameux à travers toute l'Europe. Lors de son séjour à Ferrare, Amatus reçut deux invitations fort alléchantes. L'ambassadeur de Pologne à Venise lui avait offert un poste de médecin à la cour du roi Sigismond II. Quant à Dubrovnik elle lui avait fait miroiter la place de médecin municipal.

Sur les instances de son ami A.M. Brassavola, il se décida pour Dubrovnik. Au printemps de l'année 1547, il abandonna sa chaire et quitta Ferrare en compagnie de son ami Didak pour venir s'installer à Ancône. Ce déménagement eut pour effet de le rapprocher de sa destination finale qui était Dubrovnik. Etant donné que les négociations avec le gouvernement de Dubrovnik s'enlisaient, Amatus se retroussa les manches et il se mit à soigner les malades et à s'occuper de travaux scientifiques. Il soigna de nombreuses personnalités éminentes parmi lesquelles Jules III, sa soeur et son neveu. Néanmoins, lorsqu'en 1555 Jules III décéda et que son successeur Paul IV se retrouva sur le trône pontifical, de nombreux décrets à l'encontre des Juifs allaient s'ensuivre. Dans l'une de ses premières bulles (promulguées le 12 juin 1555), le nouveau pape avait notamment ordonné que les Juifs poursuivent leur existence dans un ghetto. Par ailleurs, ils n'étaient plus en droit d'entretenir des relations avec les chrétiens. L'antisémitisme sembla alors friser le paroxysme dans la ville d'Ancône qui faisait alors partie des Etats pontificaux. Amatus Lusitanus ainsi que son camarade Didak Pir s'y trouvaient lorsque ces ordonnances furent délivrées. Cette situation est d'autant plus paradoxale que sous les papes précédents cette ville avait été l'un des plus grands havres, voire le plus grand, pour de nombreuses familles juives ou marranes en provenance du Portugal. Désormais, le pape avait donné l'ordre secret de faire enfermer tous les marranes d'Ancône. Il n'empêche que beaucoup d'entre eux eurent vent de cet ordre et ils choisirent de gagner en catimini des villes comme Pesaro, Ferrare ou d'autres encore. Amatus et son ami Didak avaient quant à eux choisi de se réfugier à Pesaro.

Profitons en pour signaler qu'avant même que le pape n'eût adopté ses mesures antisémites, Amatus s'était déjà trouvé dans le collimateur de divers catholiques qui l'avaient fortement pris à partie en raison de la foi qu'il professait. C'est ainsi que Petrus Andreas Matthiolus (1501-1577), un médecin de l'empereur et célèbre botaniste de Sienne, avait écrit un livre en latin que l'on peut qualifier de pamphlet, et qui visait le médecin portugais. Intitulé Apologia adversus Amathum Lusitanum cum Censura in eiusdem narrationes, il avait été publié à Gorizia en 1553 et imprimé à Venise en 1559. "On y attaquait Amatus sans ménagements aucuns en raison de sa faible conviction religieuse étant donné qu'il ne s'en tenait pas au dogme catholique, auquel il était passé en tant que marrane, mais qu'il était resté fidèle à son ancienne croyance. Cette attaque publique sous la forme d'un écrit qui le dénonçait comme un crypto-juif l'exposait à d'éventuelles poursuites renouvelées de la part de l'Eglise catholique, en particulier depuis que Paul VI avait commencé à appliquer ses réformes et à pourchasser tous ses adversaires." (Tadic, page 285). On ne s'étonnera donc pas qu'Amatus eût été empressé de quitter une ville où il s'en était fallu de peu qu'il n'y laisse sa peau. Il ne s'attarda pourtant guère à Pesaro puisque dès 1557, et peut-être même plus tôt, on le retrouve à Dubrovnik.

Amatus évoque son intention de se rendre à Dubrovnik dans la préface de son livre In Dioscoridis Anazarbei de Materia Medica Enarrationes. Il y dit que sous ordre du Sénat de Dubrovnik le patricien Sebastianus Menseus (Mencetic) était arrivé à Ferrare afin d'y dénicher un excellent médecin pour la ville de Dubrovnik. Antonio Musa Brassavola le fameux médecin et professeur de Ferrare qui avait soigné de nombreux rois et papes, répondit à la demande de Mencetic en proposant Amatus pour remplir cette charge. Cependant, les offres séduisantes que le roi polonais avait proposées en même temps firent qu'Amatus demanda un certain délai avant de signifier sa décision finale. Entre temps, Mencetic avait fait un passage à Milan après avoir promis de passer par Ferrare lorsqu'il retournerait à Dubrovnik. Pour sa part, Amatus s'était engagé à rendre d'ici là sa décision dont il informerait le Dubrovnikois lors de son retour. Il s'avérera pourtant que Mencetic ne réapparaîtra plus à Ferrare et c'est à Brassavola que reviendra le rôle de convaincre Amatus de refuser l'offre du roi polonais et d'accepter la demande que l'envoyé de Dubrovnik lui avait faite.

Lorsque Amatus eut finalement arrêté son choix sur Dubrovnik, Brassavola envoya une lettre au gouvernement de Dubrovnik dans laquelle il recommandait chaudement Amatus en énumérant toutes ses qualités. Malgré cela la nomination attendue n'arriva point et Amatus rejoignit Ancône en mai 1547, où il poursuivit la publication entamée à Ferrare de l'oeuvre In Dioscoridis. Son espoir était qu'en peaufinant l'image qu'on avait de lui à Dubrovnik il s'assurerait le poste de médecin municipal. "Dans la dédicace il exprime l'espoir qu'il sera pourtant nommé médecin municipal à Dubrovnik, ce qui fait l'objet de tractations depuis des années, et il prie le sénat d'accepter en signe de son inclination cette oeuvre qu'il a enfin achevée au terme de nombreuses années entrecoupées par des affaires médicales et privées. Cette dédicace est écrite dans un style très coloré, tout à fait dans l'esprit du temps. Amatus ne rate pas l'occasion de louer Dubrovnik à cause de la liberté qui y règne et il déclare : 'A une époque où toute la Dalmatie et la Grèce gémissent sous le joug de l'esclavage, fleurit à Dubrovnik une époque dorée qui n'est pas seulement chassée d'Italie mais aussi du monde entier'. Jusqu'à présent de nombreux réfugiés avaient trouvé un abri dans la libre Dubrovnik et il espère qu'il y trouvera lui aussi un accueil hospitalier." (Glesinger, page 17)

D'ailleurs Dubrovnik lui importait à tel point qu'il chercha constamment à nouer des liens avec des Dubrovnikois influents dont il estimait qu'ils pourraient l'aider à réaliser ses souhaits. C'est dans ce dessein qu'il fit la connaissance de Dzivo et Benedikt Gundulic (Gondola). Il s'agissait de deux Dubrovnikois qui tenaient un important commerce à Ancône et qui lui promirent d'appuyer sa demande. Il est certain qu'auront joué en sa faveur les nombreuses interventions médicales qu'il avait faites auprès de Dubrovnikois mais aussi de personnes souffrantes qui provenaient d'autres régions côtières de la Croatie. Outre la fille d'Ivan Gundulic, Katarina (dont il sera question par la suite), Amatus avait soigné à Ancône une série d'autres patients venus de Dubrovnik, de Zadar et d'autres villes dalmates. Et pourtant tout cela ne lui fut d'aucun secours à l'heure d'obtenir la nomination tant désirée. On pourrait discuter des raisons à cela mais le plus plausible est d'admettre une intrigue des médecins de Dubrovnik qui voyaient en Lusitanus un rival très dangereux. Comme le souligne Glesinger, il est fort probable que si Amatus avait continué d'attendre sa nomination à Ancône il n'aurait jamais quitté cette ville.

Mais comme nous l'avons déjà dit le cours des événements le força néanmoins à se réfugier à Pesaro. Là, en proie à l'impatience, il n'attendra pas le décret sur sa nomination et il organisera lui-même son départ pour Dubrovnik parce qu'il voulait y faire le maximum pour être nommé médecin municipal. "On devine facilement pourquoi Amatus s'efforçait par tous les moyens de gagner Dubrovnik. Il savait qu'il trouverait un abri sûr dans la république libre de Dubrovnik car il connaissait l'hospitalité des Dubrovnikois et il savait que les Juifs y bénéficiaient d'un haut degré de liberté. Il savait par ailleurs que dans la république, qui était à cette époque sous la protection des Turcs, il serait à l'abri de toutes poursuites de l'inquisition qui ne possédait aucun pouvoir à Dubrovnik". (Glesinger, page 19)

La plupart des auteurs s'accordent à penser que l'année où Amatus est arrivé à Dubrovnik serait le printemps ou l'été 1556, étant donné qu'un récit médical dubrovnikois (Cent. VI, cur.3) porte la date du 18 juillet de cette année. C'est l'avis de Friedenwald, Körbler, Resetar et Salomon. Et, effectivement, on peut dire aujourd'hui en toute confiance qu'Amatus Lusitanus est arrivé à Dubrovnik en 1556. Par conséquent l'année n'est plus à mettre en cause et seuls les mois et le jour restent inconnus. Dans l'un de ses poèmes, le poète dubrovnkois Sabo Bobaljevic, dont le cas a été décrit par Amatus et que nous évoquerons en fin de chapitre, se réfère aux médicaments qu'Amatus lui avait prescrits. Etant donné que le poème est daté du 7 février 1557 et qu'Amatus dit lui-même que la guérison de Bobaljevic a duré un certain temps (au moins vingt jours) il en découle clairement que le médecin portugais se trouvait déjà à Dubrovnik en 1556. Malgré que Jorjo Tadic, un historien qui semble ne prêter foi qu'aux sources d'archives, pense qu'Amatus n'était arrivé à Dubrovnik qu'à la fin de l'année 1557, voire au début de 1558, il n'y a pas de raison pour ne pas croire Amatus en personne dès lors où ses dires sont confirmés par Bobaljevic et cela d'autant plus qu'il n'est pas possible de soulever une preuve contraire qui viendrait infirmer de tels propos. Il n'en reste pas moins que les recherches menées par Tadic dans les archives ont mis à jour de nombreux faits nouveaux qui sont importants pour bien comprendre "l'intermède" qu'Amatus a vécu à Dubrovnik. Nous évoquerons ces faits par la suite sous une forme quelque peu abrégée.

A l'époque où Amatus avait mis les pieds à Dubrovnik, quatre médecins y travaillaient au service de l'Etat : deux physiciens (Caesar de Pesaro et Giacomo Pacino) et deux chirurgiens (Paolo Celentano et Giovanni-Batista Vanucci). Certains d'entre eux étaient au service de Dubrovnik depuis des années. Cependant, juste à l'époque où Amatus séjournait dans la ville, un de ces médecins avait été victime d'un incident malencontreux. Les agressions contre les médecins étaient très fréquentes dans le vieux Dubrovnik et plus particulièrement dans les heures avancées de la soirée. C'est ainsi que le chirurgien Vanucci avait subi une agression au début du mois de mars 1558. (L'enquête lancée par le Sénat autour de cette affaire les 11 et 25 février de la même année ne donna aucun résultat parce que l'obscurité de la nuit avait empêché le médecin de reconnaître son assaillant). Un mois plus tard, Vanucci, qui semblait encore sous le coup de l'attaque, pria le gouvernement de Dubrovnik de lui accorder un congé de trois mois sans qu'il soit payé, ce qui lui aurait permis de se rendre en Italie pour cause d'affaires. Cela lui fut concédé le 26 mars. A cette époque, Amatus exerçait déjà à titre de médecin privé à Dubrovnik où il était rapidement devenu la cible d'attaques verbales très vraisemblablement instiguées par ses collègues médecins. Selon Tadic, ces médecins en question allèrent jusqu'à affirmer qu'Amatus ne pouvait soigner des patients de religion chrétienne car il était juif. Le gouvernement de Dubrovnik aura une réaction similaire (quoique pour d'autres motifs) comme on peut le voir d'après une décision rendue le 23 mars : "Captum est de precipiendo Domino Amatto Hebreo, medico, non possit in civitate nostra exercere officium medeci si reverendissimus Dominus Archiepiscopus noster licentiam sibi non concesserit."

La décision fut communiquée à Amatus deux jours plus tard et le lendemain Vanucci obtint son congé de trois mois tel que nous l'avons dit. Dès qu'Amatus eut appris de départ de Vanucci, il décida de se porter candidat au poste vacant. Le gouvernement répondit par l'affirmative à sa requête et c'est ainsi qu'il décida "que l'on prenne à notre service monsieur Amatus le Juif pour la période des six prochains mois avec le même salaire dont bénéficie le magister Giovanni-Battista Vanucci, notre chirurgien, et qu'il doit exercer dans notre ville gratuitement et avec amour aussi bien le métier de physicien que de chirurgien." Vingt-trois sénateurs votèrent en faveur de la proposition gouvernementale et douze contre, ce qui indique qu'Amatus était apprécié à Dubrovnik. A peine deux jours plus tard, le Petit conseil décida "que l'on délivre à monsieur Amatus le Juif un reçu de trois mois sur son salaire selon la décision acceptée au Sénat." On voit donc que tout était fait pour que le médecin portugais reste au service de l'Etat. Au début, cela devait être pour une période probatoire de six mois (tel qu'il en allait régulièrement avec tous les fonctionnaires de l'Etat), et ensuite "à temps indéterminé".

Cependant, comme l'affirme Tadic (page 278), les décisions prises par le Sénat ne tenaient pas compte de certains aspects qui auraient pu remettre en cause la situation du médecin portugais, lequel avait entre temps commencé son travail. En effet, une autorisation de l'archevêque de Dubrovnik était requise pour qu'Amatus puisse exercer la profession médicale. Or, le Sénat avait omis de considérer cette condition et il fallut donc convoquer une nouvelle séance qui eut lieu le 2 mai. Il y fut décidé qu'Amatus cesse immédiatement son travail au motif que son entrée en service s'était faite sans l'autorisation de l'archevêque de Dubrovnik. Tadic affirme pour sa part que d'autres raisons qui nous sont inconnues avaient joué. D'après lui, si l'unique obstacle avait été l'absence de permission délivrée par l'archevêque et si le gouvernement avait vraiment souhaité qu'Amatus soit admis au service, il aurait été logique que ce même gouvernement intervienne auprès de l'archevêque pour obtenir cette autorisation (ce qui au demeurant s'était déjà produit dans certains cas). Enfin, Tadic estime que la manière d'agir du gouvernement à l'égard du médecin portugais, après qu'il eut été démis de ses fonctions, montre clairement que ses membres s'étaient tournés contre lui. Il en découle sans trop d'hésitations qu'une raison inconnue avait incité le Sénat à modifier son comportement envers Amatus. Etant donné que l'archevêque ne voulait pas délivrer l'autorisation, où qu'il en était empêché, les citoyens de Dubrovnik décidèrent de s'adresser directement au Pape, ce qui prouve qu'Amatus avait continué à dispenser des soins à titre privé sans l'autorisation de l'archevêque, et cela avec beaucoup de succès. Faute de quoi, les citoyens n'auraient pas intercédé à ce point en sa faveur. Afin d'ajouter du poids à leur requête, ils prièrent le gouvernement de se ranger de leur côté auprès du Pape" afin qu'il daigne autoriser nos concitoyens à avoir recours au travail de monsieur Amatus le Juif, médecin." Cela paraissait pourtant excessif aux yeux de certains membres du Sénat, aussi décidèrent-ils avec seulement une voix majoritaire (20:19) que le gouvernement ne s'immisce pas dans cette affaire. Tadic estime que tout cela montre que certaines personnes à Dubrovnik étaient particulièrement hostiles envers Amatus. Selon lui, quand bien même quelqu'un aurait-il tenté d'obtenir l'accord du Pape, il semble peu probable que celui-ci eût accepté dans la mesure où ni les autorités religieuses ni les autorités laïques de la République de Dubrovnik n'intervenaient pour qu'il en soit ainsi.

Lavoslav Glesinger, en reprenant les faits qui viennent d'être exposés et en tentant d'éclaircir l'énigme à propos de la suspension d'Amatus en arrive aux conclusions suivantes : (Voir Gles. pp. 28-30)

1. Amatus a tenté avec difficulté d'obtenir le poste de médecin municipal de Dubrovnik avant même l'année 1547, par conséquent à une époque où l'Italie ne connaissait pas encore de mesures à l'encontre des Juifs, ce qui montre que l'obstacle ne venait pas du côté de l'Eglise mais bien d'une ou de plusieurs personnes pour lesquelles il ne convenait pas qu'Amatus apparaisse à Dubrovnik.

2. Il est curieux que dans leur hostilité à l'égard d'Amatus certains Dubrovnikois aient argué qu'on ne pouvait permettre à un Juif de soigner des Chrétiens si l'on sait qu'avant Amatus et après lui des Juifs avaient même travaillé dans la fonction publique. De surcroît, Amatus procurait ses soins presque exclusivement à la clientèle patricienne non juive. Cette clientèle n'y aurait certainement pas consenti s'il était choquant dans la ville que des Juifs puissent soigner des patients chrétiens.

3. Le fait que le gouvernement n'ait strictement rien entrepris pour s'assurer de l'autorisation de l'archevêque Beccadelli, qui si elle avait été demandée aurait vraisemblablement été accordée, montre à nouveau que l'interdiction ne provenait pas des rangs de l'Eglise.

4. Preuve en est que l'archevêque et le pape consentirent à ce que soit nommé comme successeur d'Amatus un certain Abram qui était juif. Cela indique que ni l'un ni l'autre n'étaient par principe contre le fait qu'un médecin juif puisse oeuvrer à Dubrovnik.

Glesinger finit par conclure qu'il est fort probable que les ennemis d'Amatus n'émanaient ni du milieu religieux ni des cercles citadins de Dubrovnik. "Si l'on se demande : Cui bono ? Qui pourrait avoir eu profit à ce que l'on interdise à Amatus d'exercer la pratique médicale, on en arrive alors à la conclusion que toute la campagne ne pouvait provenir que des rangs des médecins de Dubrovnik. Le vieil adage "Medicus medicum odit" valait également à cette époque et de tels cas sont par trop connus dans l'histoire de la médecine. S'agissait-il bien de Caesar Pesaro, comme le pense Tadic, cela ne peut que difficilement être certifié de nos jours. En aucun cas les adversaires d'Amatus n'étaient les chirurgiens Paolo Celentano et Giovanni Vanucci étant donné qu'Amatus entretenait de bonnes relations avec eux, comme nous l'entrevoyons à partir de ses Centúrias (Cent. VI, cur. 100). La lutte envers lui ne pouvait donc être menée par les deux en même temps. On remarque en tout cas que dans les Centúrias ne sont mentionnés les noms d'aucun des deux et on peut en conclure que la relation entre eux et Amatus n'était pas des plus cordiale." (Glesinger, page 130)

Amatus resta à Dubrovnik jusqu'à la fin de l'année 1558 ou au début de 1559. On sait avec certitude qu'au printemps de l'année il se trouvait à Salonique (comme nous l'indique la date d'un récit médical). Finalement, toutes ces incertitudes ont été balayées par les recherches que Tadic a menées dans les archives et qui montrent qu'Amatus n'a pas quitté Dubrovnik de son plein gré mais bien par "la contrainte". Après avoir évoqué la décision du Sénat de Dubrovnik, selon quoi le consentement du Pape ne serait pas demandé pour qu'Amatus soit admis au service, Tadic poursuit :

"Amatus est vraisemblablement resté après cela encore un certain temps à Dubrovnik puis il est parti quelque part dans les proches environs de l'Etat de Dubrovnik, peut-être en Herzégovine et dans les bouches du Kotor, soit dans une petite localité de Dubrovnik. De là, il envisageait de se rendre à Venise. Afin de bénéficier d'une pleine sécurité, il a prié le gouvernement de Dubrovnik de lui fournir une "garantie" pour 15 jours à dater de son arrivée à Dubrovnik pour qu'il puisse passer de là à Vienne. Le gouvernement y consentit et le 9 juillet il lui délivra la garantie de séjour en question.

Il est remarquable qu'Amatus eut effectivement reçu la "fides publica" qui devait le prémunir contre toute persécution étant donné qu'il redoutait peut-être que quelqu'un ne le poursuive ou ne le mette en demeure de répondre à cause d'un délit ou l'autre. L'octroi d'une telle "foi" n'avait rien d'ordinaire à Dubrovnik alors qu'à l'inverse les procès des séances gouvernementales regorgent de "sauf-conduits" accordé à des débiteurs afin d'être protégé contre d'éventuelles poursuites par leurs créditeurs. Cependant, Amatus n'avait pas demandé ni reçu un tel sauf-conduit mais bel et bien obtenu une "fides publica" qui devait protéger sa personne. Etant donné que dans les livres des plaintes juridiques nous n'avons trouvé aucun motif pour une poursuite judiciaire à son encontre, nous pensons qu'Amatus aurait pu être poursuivi pour d'autres raisons. Afin de se prémunir contre cela il avait obtenu la "foi" du gouvernement de Dubrovnik.

Mais il semble que le gouvernement avait encore fait preuve de précipitation au sujet d'Amatus. Quelqu'un s'éleva à nouveau contre lui et protesta que le gouvernement de Dubrovnik lui eut garanti une entière sécurité personnelle. C'est alors que le gouvernement retira après coup cette "fides publica" qu'il venait de lui accorder. Par conséquent, Amatus avait pour sa part eu raison de demander une telle sorte de "foi" afin de protéger sa personne puisqu'il semble qu'à Dubrovnik quelqu'un agissait à ses dépens. Sachant cela, Amatus de manière tout à fait naturelle, resta éloigné de Dubrovnik et il ne retourna plus en Italie. Or les Dubrovnikois, qui le 8 juillet avaient renouvelé le contrat avec les trois autres médecins éprouvaient le besoin d'un médecin de plus, aussi leur gouvernement décida-t-il à l'unanimité de prendre encore un autre chirurgien à son service, et cela pour une période de deux ans. Amatus, en attendant, ne pouvait nullement rester à Dubrovnik." (pp. 280-281)

Les archives pas plus que les écrits d'Amatus ne permettent de préciser la raison ayant porté le médecin portugais à demander une "fides publica". Glesinger attire néanmoins l'attention sur un bref chapitre dans l'oeuvre d'Amatus, Curiationum medicinalium Centuriae septem, qui pourrait apporter certains éclairages afin d'élucider cette question. Ce chapitre intitulé "Le serment d'Amatus" (Amati jusjurandi) se trouve à la fin de la 8ème Centúria. Nous le citerons dans son intégralité à cause des informations importantes qu'il nous fournit sur son auteur et son caractère.

"Je jure par le Dieu tout-puissant et éternel (et par les 10 commandements sacrés que nous avons reçus sur le mont Sinaï de la main de Moïse, le législateur du peuple israélite, qui l'a délivré de l'esclavage égyptien) que dans ma pratique médicale je ne me suis jamais écarté de tout ce qui nous a été confié pour notre bien et notre descendance, que je n'ai trompé personne, que je n'ai rien altéré pour mon profit personnel, que je me suis toujours efforcé de faire le bien à l'humanité entière, que je n'ai jamais flatté ni critiqué personne à moins que la vérité ne l'eût exigé. Si je mens que Dieu et son ange Raphaël me punissent de leur courroux éternel et que plus personne n'ait désormais confiance en moi. Je n'ai pas été avide de rétributions pour mon travail de médecin et j'en ai soigné bon nombre sans avoir reçu de rétributions, quoiqu'en conscience. J'ai souvent refusé avec abnégation et obstinément une rétribution qui m'était offerte car il me satisfaisait davantage de guérir consciencieusement et scrupuleusement un malade plutôt que de m'enrichir par sa générosité. (J'ai offert une aide pareillement consciencieuse à tous, aux Juifs, aux chrétiens et aux musulmans). La situation du malade n'a jamais agi à mes yeux et j'ai toujours aussi consciencieusement soigné les pauvres que les riches. Je n'ai jamais provoqué la maladie. Dans l'exercice de mes devoirs j'ai toujours dit ce que je croyais être la vérité. Je n'ai pas accordé la préférence à un apothicaire s'il ne s'était distingué envers d'autres par son habileté dans son métier et par son caractère. En prescrivant des médicaments j'ai été mesuré et j'ai tenu compte de l'état physique du malade. Je n'ai jamais révélé un secret qui m'avait été confié. Je n'ai jamais donné de potion mortelle à un malade. Aucune femme n'a effectué un avortement avec mon aide. Je ne me suis jamais comporté malhonnêtement dans une maison dans laquelle j'étais entré du fait de ma profession de médecin. En bref, je n'ai jamais rien fait qui soit indigne ou déshonorant pour un médecin, en ayant toujours considéré Hypocrate et Galène comme mes modèles, qu'il vaut d'imiter, et je n'ai pas négligé les préceptes des nombreux autres représentants éminents de mon ordre. J'ai été appliqué et n'ai pas permis que quoi que ce soit me détourne de l'étude de bons auteurs. J'ai supporté la perte de mes biens privés, j'ai entrepris des voyages fréquents et périlleux, j'ai supporté calmement et avec un courage inébranlable l'exil, ainsi qu'il sied à un philosophe. Maints élèves qui sont venus à moi m'ont respecté comme s'ils étaient mes fils et je me suis efforcé autant que j'ai pu de les instruire en savoir et en comportement. J'ai publié des oeuvres médicales non pas pour satisfaire ma vanité mais parce que j'ai voulu dans une certaine mesure contribuer à l'amélioration de la santé du genre humain. Je laisse à d'autres de juger si cela m'a réussi. C'est du moins ainsi qu'a toujours été mon but et ce désir a toujours tenu la première place dans mes prières." (Glesinger, pp. 33-43)

Ce serment n'aurait rien d'insolite si sa forme extérieure ne différait sensiblement par rapport au serment traditionnel d'Hypocrate ou de la prière bien connue du fameux médecin juif Maïmonide (1135-1204), alors que par le contenu il leur est très similaire. En effet, Amatus n'y exprime pas le souhait de respecter dans le futur les principes éthiques de sa vocation médicale mais au contraire il justifie son action médicale dans le passé. C'est par conséquent cette "clé" qui doit nous servir à déchiffrer l'histoire de ses trois années d'activité à Dubrovnik ou éventuellement les nombreuses années d'efforts qu'il a multipliés pour y parvenir. L'hypothèse selon laquelle le serment d'Amatus serait une réponse adressée à P.A. Matthioli, qui avait accusé Amatus de faire soi-disant preuve d'athéisme et d'avoir plagié ses commentaires des Dioscórides semble assez peu plausible étant donné que nulle part Matthioli ne s'en prend à Amatus pour cause d'incompétence médicale ou d'infraction au code éthique. Il est donc peu vraisemblable qu'Amatus eût rédigé son serment dans le but de fournir une réponse aux diffamations de Matthioli. Pareillement, Amatus n'aurait pas attendu six années avant de répondre et il n'aurait pas non plus manqué de s'adresser à son adversaire italien dans le titre ou encore dans le texte lui-même.

"Si Amatus avait voulu se défendre par son serment contre certaines accusations, il n'est pas exclu que ces accusations eussent été élevées à son encontre à Dubrovnik. S'agissant de son départ soudain de Dubrovnik, il n'est pas parvenu à se justifier dans la 6ème centúria et il ne l'a fait qu'à la fin de la 7ème centúria qu'il avait achevée à Dubrovnik en 1559. Le fait qu'il ne cite aucun nom dans son serment suggère qu'Amatus lui-même ait ignoré qui étaient les initiateurs de ces accusations. Par contre, on sait à partir du contenu quelles accusations cela pouvait être - pour tout dire les accusations les plus graves qui puissent être soulevées contre un médecin. De toutes façons, le séjour d'Amatus à Dubrovnik avait été rempli par de nombreuses déceptions pénibles et plutôt que de trouver dans cette ville la paix et la possibilité de travailler sans entraves, Amatus y avait rencontré quantité d'ennemis qui dans leur lutte fanatique à son égard ne s'étaient arrêtés devant aucun moyen afin de l'en éloigner." (Glesinger, pp. 36-37)

Après avoir quitté Dubrovnik, Amatus, comme nous l'avons dit, était parti pour Salonique où il avait rencontré une des colonies juives les plus nombreuses à l'intérieur de l'empire turc. C'est là qu'il passa les dernières années de sa vie. Il y est décédé en 1568 après avoir été contaminé par la peste qui fit de lui une victime de sa vocation médicale. Il a été enterré dans le vieux cimetière juif à Salonique. Selon Tadic, sa pierre tombale ne s'y trouve pourtant pas. La tradition veut que quatre distiques de son grand ami et compatriote Didak Pir y avaient été gravés.

"Qui toties fugientem animam sistebat in aegro
Corpose, Lethaeis aut revocabat aqui,
Gratus ob id populis et magnis regibus aeque,
His jacet ; hanc moriens pressit Amatus humum.
Lusitana domus : Madecum tellure Speulchrum.
Quam procul a patrio conditur ille solo !
A cum summa dies, fatalis et apetit hora,
Ad styga et ad Manes undique prona via est".

Durant toute sa carrière médicale, Amatus avait très attentivement observé le développement de la maladie ches les patients qu'il avait traités et il avait tout entrepris afin de les guérir. A côté de cela, il se tenait au courant de la littérature scientifique et professionnelle la plus récente en se profilant ainsi comme l'un des meilleurs praticiens et théoriciens de la médecine dans l'Europe du XVIe siècle. Amatus s'est notamment référé aux cas les plus intéressants de sa pratique médicale. Aussitôt avait-il rassemblé une centaine de cas similaires qu'il les regroupait en les publiant ensemble dans les dénommées centúrias dont chacune était dédiée à une personnalité marquante (comme par exemple Cosme de Médicis ; le cardinal H. d'Este, Jacoba de Monte, la soeur du Pape Jules III ; l'ambassadeur portugais à Rome, etc.) Il a réuni et publié au total sept centúrias. Certaines d'entre elles ont été imprimées à plusieurs reprises et lors d'une édition il les a même publiées toutes ensemble. Tadic signale à la page 283 que dans diverses villes européennes a existé un total de 11 éditions des Centúrias, sur un intervalle allant de 1551 à 1628, dont sept étaient parues du vivant de l'auteur et quatre à titre posthume. Amatus a décrit son activité médicale à Dubrovnik dans la sixième centúria. Toutefois, avant d'aborder la description de son contenu, nous nous arrêterons à quelques passages tirés d'autres centúrias dans lesquelles le médecin portugais a décrit les maladies de ses patients de Dubrovnik.

Dans la 92ème thérapie ou cure (curatio) de la première centúria Amatus a décrit le déroulement de la maladie de la fille du patricien de Dubrovnik Dzivo Gundulic - Katarina - qui souffrait de divers maux qui finiront par l'emporter. Dans la 63ème thérapie de la troisième centúria il est question de la maladie d'un enfant de Dubrovnik âgé de 14 ans, tandis que dans la 81ème thérapie de la quatrième centúria il s'agit du mal d'oreille d'un malade de Dubrovnik. Tous les patients évoqués avaient apparemment été soignés par Amatus dans la ville d'Ancône que peuplait au 16ème siècle une nombreuse colonie de Dubrovnikois. La fille du négociant Dzivo Gundulic, qui avec son frère s'efforçait de trouver un poste à Dubrovnik pour Amatus, nous invite à une telle conclusion. Amatus dit que Katarina avait été soignée par quatre autres médecins (Gvidus, Severinus, Lucensis et Fulginas) en plus de lui-même, mais on n'en trouve aucune trace dans les archives de Dubrovnik malgré que les listes complètes de tous les médecins dubrovnikois de l'époque y étaient conservées. Cela confirme qu'Amatus avait soigné la fille de Gundulic en Italie ; cela vaut également pour les autres malades mentionnés et cela très probablement à Ancône.

Comme nous l'avons dit, Amatus a décrit dans la sixième centúria les maux des patients qu'il avait eu l'occasion de traiter à Dubrovnik. Cette centúria de même que la cinquième, produite à Ancône et révisée à Dubrovnik fut imprimée pour la première fois à Lyon en 1564 tandis que sa préface et sa postface avaient été écrites à Salonique, respectivement en 1559 et 1560 (1er janvier).

A l'instar de toutes les autres, la sixième centúria contient une centaine de cas de maladies particulières qui sont accompagnées de la description de leur traitement. Cette centaine de cas (curationes) représente en fait une sélection parmi un nombre pus significatif de maux dont s'était occupé Amatus au moment de son séjour à Dubrovnik. Il semble que le critère de sélection était avant tout l'intérêt des cas particuliers. "En tête de chaque cure on trouve une courte description du cas, ensuite vient le nom et l'âge du malade, une description précise de sa maladie et de son traitement, et à cela Amatus ajoutait dans certains cas une interprétation (scholia) dans laquelle il citait des auteurs anciens (Hypocrate, Galène, Avicène). La taille des différents récits de maladie varie : on en trouve qui couvrent seulement deux pages tandis que d'autres s'étendent sur presque dix pages. C'est surtout le mode de thérapie qui est décrit dans le détail, de sorte qu'il apporte par endroits de très longues prescriptions dans lesquelles il énumère des dizaines d'ingrédients. Dans certains cas, il fournit jusqu'à cinq ou six de ces prescriptions." (Glesinger, page 38)

La sixième centúria commence par une préface en forme de dialogue et elle est intitulée "Amati introitus ad Curationes Ragusinas". Trois aristocrates de Dubrovnik - Dzivo Gradic (Joannes Gradius), Simun Benesic (Simon Benesius), et Pasko Crijevic (Paschalis Cervinus) - croisent dans la rue le médecin Amatus, ils le saluent et s'enquièrent de sa "vaillante santé", ensuite l'un d'entre eux - Gradic - le prie de le suivre chez Medo Gundulic (ad Orsatum Gondulanum) qui est en proie à une fièvre carabinée alors que le médecin ne sait comment l'aider. Amatus accepte volontiers l'invitation et se rend alors en compagnie des quatre autres chez le malade. Après l'avoir ausculté, il établit qu'il souffre d'une "febrem continuam maximo cum delirio" et il lui prescrit en guise de traitement de se laisser prendre quatre onces de sang. Sous peu, Crijevic se rend chez Amatus et il l'informe avec joie que le patient se sent beaucoup mieux.

Après cette brève préface revêtant la forme d'un dialogue vient une courte description de la ville de Dubrovnik. Malgré sa brièveté, elle est intéressante à certains égards et notamment en ce qui concerne les circonstances sociales et sanitaires telles que les avait perçues le médecin portugais : "Dubrovnik est une ville petite mais antique qui copie Venise ('simia Venetiarum'), elle repose en Mer illyrienne entre des falaises en direction du sud. Il en résulte qu'elle est exposée à des vents méridionaux dont souffrent péniblement beaucoup d'habitants en hiver. Des vins corsés y prospèrent qui sont nuisibles pour la santé, cependant il y a peu de fruits agricoles et nullement de blé car il n'y a pas de champs. Le gouvernement est républicain mais on n'y admet que les patriciens qui sont d'habiles politiciens dont une partie s'occupe de commerce. Ceux-ci sont assez bien éduqués et, à l'instar des patriciens, ils s'occupent d'affaires commerciales qu'ils exercent au moyen de leurs grands et superbes navires. L'autre partie des citoyens vit dans la misère et pauvreté". (Glesinger, pages 39-40)

Après ladite description s'ensuivent différents cas dont la longueur varie (en moyenne de 2 à 10 pages, ainsi que nous l'avons dit). Seul le dernier traitement où Amatus décrit comment il a soigné un capitaine de navire, à qui un marin avait "impitoyablement défoncé la tête", comprend 76 pages. Ce dernier traitement, à l'égal du premier, prend la forme d'un drame. Le dénommé Gradic, que nous avons déjà rencontré, prie à nouveau Amatus de venir procurer son aide. Deux autres médecins de Dubrovnik (Celentano et Vanucci) se penchent également sur le cas en question. Amatus s'entretient avec eux en leur expliquant ce qu'il convient d'entreprendre. Il s'étonne en même temps que les lésions à la tête cicatrisent aussi facilement à Dubrovnik alors que de telles blessures sont mortelles à Florence ou à Bologne. Pour finir, Amatus prend congé des Dubrovnikois en leur promettant qu'il leur enverra de Salonique le septième tome de ses Centúrias.

Parmi tous les cas qu'Amatus réfère dans la sixième centúria, le plus intéressant est sans doute celui qui est décrit dans la 42ème cure.

"Cur. XLII. In qua citatur casus mirus de quodam nobili Gallo, imaginatricem corruptam habente et eiusdem curatione faceta.

- Le malade : Jacobus, Français et procurateur du roi français Henri dans les contrées orientales.

Le malade qui avait déjà souffert de syphillis était venu à Dubrovnik à la fin de l'hiver 1556/57 afin de s'y faire soigner. Il lui semblait qu'il avait un oedème (un apostème) sur la hanche droite dont il devait mourir. C'est la raison qui l'avait poussé à écrire son testament et à s'aliter. Il était devenu mélancolique puis avait commencé à délirer, en plus de cela il mangeait et buvait beaucoup. Amatus s'était rapidement aperçu que sa maladie était imaginaire et c'est pourquoi le 8 mars 1557 il ouvrit le prétendu abcès sur la hanche droite en présence de trois autres médecins. Depuis lors le malade se sentit mieux. (Amatus lui avait montré un peu de lait et de sang de volaille en lui affirmant que cela s'était soi-disant écoulé de l'oedème). Aux côtés d'Amatus assistèrent à cette guérison Jacobus Bononiensis, un apprenti médecin, ainsi que deux autres chirurgiens talentueux, Battista Vannuccius Florentinus et Paulus Celentanus Neapolitanus". (Glesinger, page 55)

On notera également le cas d'une jeune fille âgée de 15 ans - la fille du patricien Niko Sorkocevic (cur. XLIX). La patiente avait répondu "onako"* à la question d'Amatus qui lui avait demandé comment elle allait. (Ad quam cum accederemus et ut valeret quaererumus continuo nobis sua illyrica lingua respondebat 'onaco' id est 'eodem tenore'). L'exemple de cette jeune patricienne montre que dans la Dubrovnik du seizième siècle on parlait exclusivement le croate à l'intérieur des maisons de l'aristocratie.

* Comme ça